Mohamed Ibn Chambas : « La lutte contre la corruption doit être une priorité dans le Sahel »

Sun, 2017-03-05 14:37

Le Ghanéen Mohamed Ibn Chambas, représentant spécial de Ban Ki-moon pour l'Afrique de l'Ouest, est en poste depuis septembre 2014. Interview.

 

Représentant spécial du Secrétaire général des Nations unies en Afrique de l’Ouest depuis près de deux ans, le diplomate ghanéen Mohamed Ibn Chambas est à la tête de l’Unowas (Bureau des Nations unies pour l’Afrique de l’Ouest et le Sahel), dont le siège se trouve à Dakar.

Après avoir effectué une mission dans les cinq États membres du G5 Sahel (Mauritanie, Mali, Burkina Faso, Niger, Tchad) au mois de mai, il a participé en juin au Sénégal à une rencontre sur la paix et la prévention de la violence dans le Sahel.

 

Vous avez effectué une tournée il y a un mois dans plusieurs pays du Sahel. Quel constat faites-vous de la situation ?

 

J’ai constaté tout d’abord que les États membres du G5 Sahel ont tous conscience du défi sécuritaire auquel ils sont confrontés. Ils ont tous mobilisé des moyens importants, dans la mesure de leurs possibilités. J’ai aussi constaté un engagement fort de leur part de travailler ensemble, de mieux coordonner leurs réponses, et aussi de travailler avec la communauté internationale. Il faut dire aussi que, pour ma part, cette tournée m’a bien fait comprendre les similitudes qui lient ces cinq pays. Ce sont des pays très pauvres, aux espaces énormes, avec une vraie identité sahélienne. Leur plus grand défi, ce sont ces immenses espaces qui ne sont pas gouvernés, car cette absence de gouvernance facilite les mouvements des terroristes.

 

Quelle peut être la solution à cette problématique, qui ne date pas d’hier ?

 

Tout d’abord, il faut une bonne coordination dans le domaine de la sécurité. Il faut voir comment créer des échanges réguliers, vivants, afin de partager des informations. Le G5 a l’idée de créer une force mixte, il faut explorer cette piste et la communauté internationale doit l’y aider. Mais au-delà du traitement sécuritaire, il y a urgence à apporter une réponse cohérente et efficace qui permette un développement équitable et une gouvernance inclusive.

 

La paix est-elle possible, dans cette région, sans le concours coordonné de l’Algérie et du Maroc ?

 

On a besoin de la coopération de tous les pays africains pour faire face à ce défi. Et chacun a un rôle à jouer. L’Algérie a joué un grand rôle dans la négociation de l’accord de paix au Mali. Le Maroc a proposé une formation des imams ouest-africains : il s’agit d’un exemple intéressant. Même l’Égypte, avec (l’université) Al-Azhar, qui forme beaucoup d’imams venus d’Afrique de l’Ouest depuis des décennies, doit jouer un rôle.

 

On assiste à plusieurs phénomènes dans le Sahel : il y a les violences des groupes jihadistes, mais aussi l’émergence de mouvements armés qui s’apparentent plus à des groupes d’auto-défense basés sur des critères communautaires, même si certains empruntent la voie du jihad. Ne doit-on pas craindre une explosion des conflits communautaires à plus ou moins court terme ?

 

C’est pourquoi il faut avoir une approche globale qui prendrait en compte les différentes dimensions de la gouvernance, parmi lesquelles la décentralisation. Il faut créer des situations pour que les communautés jouent un rôle positif et participent au développement social et économique de leurs régions.

 

La décentralisation coûte cher, comme l’équipement des armées…

 

Oui, mais c’est nécessaire.

 

Ne faudrait-il pas mettre en œuvre une sorte de plan Marshall pour le Sahel ?

Cela fait des années que l’on parle d’un plan Marshall ou de ce qui pourrait y ressembler – je pense notamment au Nepad (Nouveau partenariat pour le développement de l’Afrique) -, et nous savons ce que cela a donné… Avant cela, nous avons besoin de réformes profondes dans nos pays. La lutte contre la corruption doit être une priorité, afin que les États eux-mêmes puissent maximiser leurs efforts et exploiter toutes leurs potentialités. Il faut aussi une vraie intégration régionale. Sans cela, un plan Marshall n’est pas envisageable.

Source : Jeune Afrique